Le vin qui a de la gueule.


Quand on ne goûte pas un vin à l'aveugle, évidemment, l'étiquette joue un rôle majeur, déterminant même, dans l'idée que l'on se fera. C'est ainsi, notre cerveau, fut-il le mieux entraîné du Monde, ne peut pas faire le tri des informations entre l'œil, le nez et la bouche. Ce qu'il a lu sur ce petit bout de papier influencera largement le traitement des informations fournies par ses autres sens. Que voulez-vous, nous ne sommes pas des machines!
Par parenthèse, je me demande ce qu'il adviendra de nos grands critiques quand, dans vingt, trente, cent ans tout au plus, des robots infaillibles feront le job à leur place. C'est un des grands débats du moment, à la fois terrifiant et passionnant, à la limite de la science et de la fiction, l'imminence de ce moment où l'intelligence artificielle sera en mesure de remplacer l'Homme dans la quasi totalité de ses tâches*. La vulgarité des notes devenant l'apanage des androïdes, peut-être ne nous restera-t-il, face au vin, que la poésie et l'ivresse? Quelle chance…

Débarque donc la bouteille. Par chance, il reste un peu de travail pour nos sens et notre cerveau. Bien sûr, on comprend que le produit est espagnol, éventuellement sud-américain. Certains détails ne trompent pas, on se doute également qu'il ne s'agit pas d'un vin sinon industriel au moins de grande série: même chez de gros faiseurs comme Dom Pérignon ou Lafite, il y a peu de chances qu'on s'amuse à placer sur chaque flacon cette étonnante petite collerette maintenue par un simple élastique. Vin espagnol, donc, artisanal, à tendance écolo puisque ne figurent sur l'étiquette ni dorures ni  château-plein-de-majuscules (on dirait bodega ou pago ici). Écolo, mais pas plus naturiste que ça: pas de blague genre coussin-péteur à l'horizon, pas de jeux de mots à deux balles ou de graphisme homologué punk-à-chiens insoumis.
Voilà, je vous le disais, le nez et la bouche ne sont pas encore à l'action que déjà la carte-mère et le disque dur chauffent.


Enfin l'essentiel. Le vin coule dans le verre. Plus translucide que ne le laissent croire les photos, presque une robe de pinot noir; nous aurait-on refait le coup (qui peut marcher) de l'infusion de raisins? Toujours est-il que le fruit est virevoltant, croquant, frais mais mûr. Pur aussi, sans ces côtés lactiques de plus envahissants dans les vins modernes. En fait, tout est bien dosé là-dedans: l'élevage, le geste du vinificateur. Est-ce grand? Je n'en sais fichtre rien, mais ça se boit avec volupté, à l'inverse de tant de jus destinés aux concours de quéquette qui semble tellement démodés désormais.


C'est principalement de la mencía qu'il y a dans cette bouteille, cette enfant dont on ne connaît qu'un parent, le trousseau jurassien** (dont en fait les principales plantations, et de loin!, se trouvent en Galice et au Portugal). Une mencía qui pousse sur un granite du trou-du-cul-du-Monde, dans la Valle do Bibei, au cœur des montagnes galiciennes, tout à l'ouest de l'Espagne, à la verticale du Pays de Galles. Si vous n'y avez jamais mis les pieds, il est INDISPENSABLE de visiter ce coin aussi beau que sauvage. En prime, on y mange bien, sainement, sans mariconadas.


C'est Laura Lorenzo, qui depuis son village de Manzaneda a développé le beau projet dont est né ce vin. Elle a travaillé pour Dominio do Bibei, une bodega connue de cette magnifique parsemée de lacs, entre Valdeorras et Ribera Sacra, région qu'on connaît davantage pour ses blancs. D'une façon générale, pour les vieux Espagnols, la Galice, c'est le blanc. On aura bu tous les rouges*** avant qu'ils ne se rendent compte de leur grande qualité.
Avec Daterra Viticultores, cette vigneronne rasta, énième symbole du réveil espagnol, s'appuie sur une poignée de petits propriétaires qui ont eu le courage de conserver leurs vieilles vignes dans cette région longtemps déshéritée. Elle les conseille, et vinifie les raisins pour produire plusieurs cuvées assez différentes mais pour la plupart intéressantes, voire délicieuses à l'image de celle-là. Tout sauf une étiquette de plus. Un vrai vin qui a de la gueule, loin du packaging et du marketing.




* Lisez, entre autres, cette interview de Nick Bostrom, professeur à Oxford, dans Les Échos. Pour ce qui est du remplacement des critiques par des robots objectifs, j'en avait ri dans cette chronique.
** Sujet évoqué dans cette chronique ampélographique. Pour ce qui est de la place que tient le trousseau au Portugal, davantage d'informations ici.
*** Je saute (presque) du coq-à-l'âne pour vous parler de rouges et de blancs que j'ai beaucoup aimés et qui viennent de la région voisine du Bierzo qui autrefois a fait partie du Royaume de Galice. Ce sont ceux de Grégory Pérez. À moins de dix euros, il sort quelques vins (ci-dessous) qui ne peuvent que guérir de la soif. Il a également fait un blanc de solera, Las Botas, à la façon d'Olivier Rivière, qui est une vraie réussite.


Commentaires

  1. Le "punk" à chien : concept ratamou qui me fait tellement regretter les vrais, ceux des années 70-80, énergiques.

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