(Portugal #3) Il remplace le soufre par des fleurs.


Fernando Paiva a soixante-douze ans. Enfin, c'est ce qu'on m'a affirmé. Quand je vois avec quelle facilité, bien avant cet âge-là, beaucoup deviennent d'authentiques vieux cons (moi ça va, j'ai commencé jeune), des vieux cons pur jus, je ne peux m'empêcher d'être étonné. 
Lui avance dans la vie avec la fraîcheur d'un enfant, une soif de découvrir, d'expérimenter, d'inventer. Pas au hasard, en s'appuyant sur ses principes, les choses auxquelles il croit, qu'il ressent, que la Nature et ses dieux apparemment muets lui enseignent. Par exemple, il ne veut pas de courant électrique dans sa cave. Ses vins ont l'air d'accord avec lui, semblent communier à cet "animisme celte".

Fernando Paiva est simplement beau. Comme la vigne dans laquelle il nous promène, sous sa maison (ou sa ferme comme on a envie de dire face à l'écosystème qu'il a bâti). Cette vigne, il l'a plantée et replantée. La soigne comme un bébé, élabore des tisanes entêtantes avec les feuilles de la forêt d'eucalyptus voisine, invente des décoctions avec les oranges de son verger. Même contre le court-noué, il déploie des stratégies qui oscillent entre acupuncture et médecine parallèle.


Sa dernière trouvaille : la fleur de châtaignier, et éventuellement son pollen. C'est encore un secret, je ne devrais pas vous en parler mais en collaboration avec les scientifiques de l'Institut polytechnique de Braga, il tente de l'utiliser pour remplacer l'anhydride sulfureux, le SO2 (le souffre avec un oumême deux F comme écrivent les beaufs à la mode). C'est très sérieux.
Après avoir discuté avec les poules autochtones qui fertilisent le sol limoneux, comme molletonné de sa parcelle de loureiro, d'arinto et d'azal, j'ai goûté le 2015 expérimental de Quintada Palmirinha*. C'est agréable, mais en l'état je préfère la vivacité, et la netteté de fruit de la version avec (peu de) SO2. Je sais aussi que des palais davantage formatés aux accidents du vin préféreront sûrement la cuvée expérimentale. Quoiqu'il en soit, ce n'est que le début de l'aventure, et ce jeune homme a tout le temps pour lui!


Car les blancs** de Fernando Paiva lui ressemblent, ils sont fringants, beaux, avec cette espèce d'élégance tout sauf tapageuse du hobereau. Sans emphase, ils racontent un terroir marqué par l'harmonie, une sorte de douceur des courbes, un infini camaïeu de verts. Ils racontent ce pays discret qui regarde l'Océan sans le voir et se noie dans les forêts. En prime, ils vieillissent avec grâce.
Comme la semaine dernière, chez Vasco Croft, nous sommes encore, ici à Sousa, dans l'immense appellation vinho verde. Appellation hétéroclite, bigarrée qui vaut tellement mieux que sa méchante réputation industrielle. Justement grâce à des vins et à des vignerons comme ceux-là. 


Du vinho verde, Fernando Paiva n'a conservé qu'une tradition : le prix. Il continue de vendre ses vins évidents, distingués, altiers mais pas hautains, à des tarifs de misère. Est-ce sa façon à lui d'être sage ? Peut-être. Sa sagesse en tout cas, cette belle sérénité donne envie non pas de vieillir, mais d'être vieux. Comme lui, comme cet homme discret qui tente sans le hurler sur les toits de remplacer le soufre par des fleurs.




* Palmirinha, "petite Palmire", c'est le surnom de sa maman qui longtemps régna sur la ferme, son potager, ses treilles de vignes, les animaux, la fontaine. Un travail qu'il évoque avec pudeur et respect.
** Fernando Paiva produit également en toutes petites quantités un remarquable vinho verde rouge, à base de vinhao. On en boirait du petit-déjeuner au coucher.


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