Le vin des mineurs.


S'attend-on à boire un vin de curé dans les Asturies? Pas vraiment, pour peu que l'on connaisse le dernier siècle de l'histoire de cette principauté étrange, plus celte que latine, dont le rivage regarde vers la Bretagne, l'Angleterre et l'Irlande. Qui peut oublier que c'est ici, au pays du charbon, qu'éclata en octobre 1934 un soulèvement qui sonna comme la répétition générale de la Guerre civile? Durant ce que l'on appela "la Commune asturienne", des soviets furent créés, on voulut instaurer un régime socialiste, jusqu'à l'arrivée, sur ordre de Madrid, des troupes d'Afrique commandées par un certain général Francisco Franco y Bahamonde. Répression sanglante, trois mille morts, trente mille arrestations.
Et plus récemment, en 2012, au cœur de la crise économique, comme un écho, c'est des Asturies que partit la Marche noire des mineurs convergeant vers la capitale pour protester contre le plan d'austérité mis en place par le gouvernement Rajoy.


Et puis, dans votre verre coule ce vin. Rouge, c'est peut-être le seul point commun avec ce qui est raconté plus haut. Tant mieux d'ailleurs en ces temps tourmentés où (là, c'est plus à la France que je pense) l'on boit tant de politique pour si peu de vin.
Monasterio de Corias indique l'étiquette. Du nom de cet énorme monastère, devenu parador, fondé juste après l'an mille dans les montagnes du sud-ouest des Asturies, surnommé "el Escorial asturiano". L'Escurial, rien que ça, un des monuments les plus stricts du catholicisme espagnol, tombeau de Charles Quint et de tant de Rois d'Espagne.
Pourtant, le vin ne vous parle pas d'église, il semble vouloir remonter plus loin dans le temps, bien avant les conversions, les saints et les martyrs. Je ne suis même pas sûr qu'il parle d'Espagne (j'en doute fortement au moment de plonger mon nez dans le verre). Ne serait-il pas plutôt en train de raconter ces vieilles légendes celtes qui peuplent les montagnes des environs? Le Cuélebre, ce serpent ailé gardien des trésors des cavernes. Le Busgosu, le faune ami des bucherons, les Güestias qui viennent hanter leurs forêts. Les ensorceleuses Xanes, faussement virginales, qui attirent les hommes auprès des rivières pour les noyer. Les linguistes affirment d'ailleurs que le nom Asturies dériverait de la vieille racine celte -stur (stêr en breton), qui signifie rivière.


Car ce vin nous ramène à un pays d'eau. J'ai même cru qu'il sentait l'humus à la façon des bretons (on y revient…), des cabernet-francs ligériens. Coule en lui l'énergie des torrents nés des montagnes qui prolongent les Pics d'Europe. Ses cépages, alabarín negro, verdejo negro, carrasquín* et surtout mencía n'évoquent absolument pas l'Espagne latine, celle des tongs, de l'ambre solaire et de la paella. C'est de toute évidence vers le Nord, vers l'Atlantique qu'il regarde.
"Viticulture héroïque" spécifie sur la contre-étiquette le petit logo du CERVIM, le Centre de Recherches, d'Études et de la Valorisation de la Viticulture de Montagne. On veut bien le croire! Comme dans tant de parcelles des Bierzo et Galice voisins, le travail du sol, de la plante et la vendange s'apparentent à de l'alpinisme. Le tout dans une région dont la pluviométrie est assez proche du Pays basque, ce qui pour la culture de la vigne demande du doigté.
"Viticulture héroïque", je rebois une gorgée de ce vin sombre, je le mâche, profite de sa matière, imagine le combat, la volonté qui ont permis de m'offrir ce bonheur. Un jus dense, pas une infusion de raisin, du vin, vraiment! Avec cette envie de boire encore, cette légère sensation de mine de crayon, de graphite en finale. De charbon** ai-je envie d'écrire.




* Pour ces trois cépages autochtones asturiens, il me tarde que sorte la nouvelle édition du Galet, le 29 mai!
** Ce vin des Asturies, assez différent, mais pas tant que ça, me fait, par son origine minière, repenser à un de mes grands classiques aveyronnais, le marcillac de Philippe & Julien Teulier. Cette appellation, héroïque elle aussi, doit en partie sa survie, il y a quelques décennies, à la proximité des houillères de Decazeville, dont les mineurs étaient gros consommateurs de vin rouge. Quant aux cuvées du Domaine du Cros, je les bois comme de l'eau de source, ils font à mon sens partie de la trousse de survie du buveur normal. 



NB: le magnifique cliché de mineur asturien utilisée ici est tirée d'une affiche espagnole de la CNT, malheureusement sans crédit photo. Il se pourrait (me dit un lecteur) qu'il soit de Earl Dotter.




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